Une segmentation discrète des gestes et le recours à un cadre de négligence

Nos gestes sont déjà libérés au sens où par la machine nous ne prêtons attention qu'au début et à la fin de l'action outillée sans distinguer entre les dispositifs intégrés dans l'unité de la machine.

Ce que nous apprends la neurobiologie d'Olivier Sabouraud, c'est que nos gestes sont robotisés. Ainsi, la machine ne correspond pas à cet appareillage extérieur à nous, fait d'un ensemble de pièces articulées automatiquement. Cette articulation matérielle éventuelle des dispositifs ne fournit pas le critère de l'intégration machinique.Ce matériel n'est qu'une manifestation de notre capacité d'agir par intégration de dispositifs différents en untités opératoires. Pour autant, la machine n'est pas une unité entièrement abstraite, elle est unité matérielle de dispositifs indistincts. Pour avancer dans la complexité ainsi posée par l'ergologie de l'anthropologie clinique, considérons quelques définitions à titre d'hypothèse rencontrées dans les écrits médiationnistes:

• "...un complexe non pas d'engins mais de dispositifs constituant techniquement entre eux, quelque soit éventuellement leur mobilité respective, une authentique unité structurale." Jean Gagnepain, DVD, t.1, p.158

• L'authentique unité structurale est développée par Jean-Yves Urien de la façon suivante: « la machine est le plus petit élément de la structure technique autonomisable par rapport à l'ensemble opératoire » (cf. l'unité segmentale, Jean-Yves Urien, BTL, p.82)
  

• René Jongen souligne le caractère indissiciable de cette unité: « indissociable unité de choix opératoires » (cohésion, René Jongen , "Quand dire c'est dire")

Il est dit ainsi que la machine est ce qui rend techniquement possible un fait au minimum. De même que le mot n'est pas conditionné par la constitution du sens, de sorte qu'il est au complet et sans plus par l'émergence de possibilités de sens, la constitution de la machine n'est pas subordonnée à une production minimum de service ; elle est ce qui est nécessaire pour faire "fonctionner" les dispositifs.A définir une téléologie en termes de "pour-écrire"ou de pour-s'asseoir" on confond les tâches et les machines avec les services qu'elles nous rendent. L'indifférence technique tient au fait que seule la mise en fonctionnement importe, la fabrication ne gère pas les destinations. La négligence du technicien réside en ce point. Dans le rapport aux dispositifs qui compose l'unité de la machine elle se précise encore par la polyhélie de la machine nullement rivée à un service particulier. La polytélie de la machine désigne l'exploitation de la machine pour des finalités multiples: elle fait toujours ceci et cela contre l'attention de son conducteur qui vise à ne faire qu'une seule chose. Or l'unité en cause est une complexité de dispositifs employée d'un seul coup ; elle fait faire ceci et cela du fait de la solidarité interne des composants sans impliquer un enchaînement recherché d'actions ordonnées et coordonnées. Si l'on considère par exemple un chariot, la rotation, le stockage et la manutention sont suffisants pour que soit constituée une unité machine. Le chariot est à même de gérer les déplacements d'une charge, ce qu'on attend de lui, mais peut dans le même temps basculer lui-même en raison du manche qui, couplé aux roues forment timon, et assure ainsi la continuité du transport sur un chemin à bosses jusqu'à la montée plus difficile des escaliers. Dans cette action outillée, le stockage n'intervient plus, et le transporteur n'a cure que d'éviter les obstacles fort de son dispositif à levier. Une sorte de distraction est introduite dans le travail qui mobilise une autre attention que celle vouée à la chose à faire mais qui s'occupe à décomposer par des mises en actions séparées les dispositifs virtuellement contenus dans la machine. De la polytélie on passe ainsi à la polygénie qui désigne cet autogénérativité de l'unité machinale, équivalent de l'autonyme tel que le postule Jean Gagnepain s'agissant du mot.

Suite: extrait de la présentation audio de FabQuest, le 29 avril 2015, Rennes 2