Réalité, Refaire, Routine

Réalité de l'activité

Alors que la représentation propose des enchaînements d'indices et de sens, la réalité de l'activité ou manipulation, opère à partir d'un service de moyens et de fins.La chose à faire, à élaborer ou à bricoler ou à manier, remplace la chose à dire, à penser ou à imaginer ou à percevoir.

 

Art, représentation et manipulation

 

Dominique Château1 rapporte, pp. 129-131, que Duret tenta de bâtir une autonomie de l'art par son objet ; ce ne pouvait être que perdu d’avance2 : l’art peut être instrumentalisé au profit de n’importe quoi. Et l’on retrouve ce conte du baron de Munchausen qui voulait s’extraire du marais où il s’enfonçait en se tirant par les cheveux. Les effets de sens, fussent-ils réduits aux objets de la ligne et de la couleur ne peuvent mettre en évidence les conditions de leur production qui peuvent aussi produire des effets qui ne relèvent plus du sens ou de la déictique, mais de la dynamique, de la schématique et de la cybernétique, autrement dit de la production d’une efficacité, d’un service pour les besoins de l’être humain, d’une assistance à la maîtrise des projets.

Qu’on invoque la main pour abandonner l’œil et l’on est pas encore sorti du rapport à la représentation : l’haptique, le toucher situe encore l’art dans le rapport au sens même si celui ci porte sur l’organisation sensorielle de stimuli tactiles. Reconnaissons toutefois que ce déplacement d’intérêt permet une attention au processus de l’art en amont du résultat. Les gestes , les mouvements sont ainsi promus, à moins qu’il ne s’agisse que d’une vitalité, d’un art vivant, projet de fusion entre l’art et la vie.

Mais ce n’est pas davantage le trajet, cette réalité du moyen ou de la fin, bref l’action de production , qui pourrait nous verser dans le rapport spécifique à la réalité de l’art. Il nous faut introduire la capacité technique, autrement dit, la fabrication pour commencer à entrevoir cette organisation de l’outil qui fait la légèreté du constructeur.

 

1 Arts Plastiques : archéologie d’une notion. Editions Jacqueline Chambon, 1999

2 On sait ce que Maurice Denis fit de cette mise en avant du sensible qu’il reprit à Taine (Dominique Château signale, p. 110, que cette précision est apportée par Jean-Paul Bouillon), mais il faut y ajouter les conséquences qui s’ensuivirent quant à l’appréhension de l’art abstrait voué à une recherche de la forme purement artistique et perceptive, à une construction plastique de l’espace entièrement orientée vers l’effet plastique au détriment du fait lui-même. Que le concret conteste la prédominance de la ligne, il reste rivé au produit étiqueté « plastico-rétinien » par Marcel Duchamp. Qu’on aboutisse à la primauté de la plastique, principe de création de l’intérieur jusqu’à l’étendre à tout art, poésie et musique comprises et l’on demeure dans le rapport à la conjoncture. Le plasmique proposé par Dominique Château renvoie d’ailleurs aux possibilités de l’art, à la dimension du pouvoir faire dans sa polyergie désinvestie qui peut s’investir dans tout et n’importe quoi. Il cite, page 225, Barnett Newman, The plasmic image : « La nouvelle tentative en peinture est d’utiliser ses éléments pour projeter la forme et les autres éléments plastiques dans l’esprit du spectateur plutôt que de les rendre sur la surface plane. »

Refaire

Pour invoquer la répétition du même, le constructeur dispose d'une expérience de fabrication qui lui apprend qu'il se sert du même dispositif, de la même machine. Mais il sait aussi, par savoir faire, que ce ne sera pas la même chose qui se fera. L'action est toujours unique.


Routine

La technique en tant que sytème d'assurances offre la possibilité de refaire sans soucis de la chose à faire: elle fonde la routine.

 

Distances et réalités au pluriel

Le concept de chien ne peut aboyer.

                                           Spinoza

 

Michel Foucault nous a conscientisé quant aux abus ordinaires, que nous pratiquons pourtant avec la justification d'une certaine objectivité, quand il s'agit de penser le réel en faisant abstraction de la relativité du sens qui n'est toujours que le sens des mots, en retrait de celui scientifiquement convoité des choses.

La relativité ne s'arrête pas à la médiation du langage: il faut encore avancer que nos modalités d'action (Goethe disait qu'il fallait se méfier de l'action engagée par un ignorant) détiennent les fins que nous envisageons en raison d'une technique qui nous prédispose à faire ceci plutôt que cela, ceci et cela.

Ajoutons que nos projets se limitent à ce que nos normes nous permettent d'ambitionner, que les rencontres entre nous, sujets humains associés avant de naître et au-delà de la mort, sont déjà cloisonnées par groupes en lieux et moments séparés avant même d'en convenir.

Au total, et pour ne pas verser dans un totalitarisme de la pensée qui ne vise qu'à augmenter un rapport de perspicacité aux choses, une réalité qui reste une connaissance1 du monde, il faut donner toute leur place aux techniciens, enchanteurs et négociateurs que nous sommes sans le reconnaître. Non pas qu'il s'agisse finalement de déboulonner les idoles pour nous river à d'autres, mais de prendre librement la mesure de l'homme pluridimensionnel qui se fait jour par l'anthropologie clinique médiationniste de Jean Gagnepain et Olivier Sabouraud, après Durkheim, Lévi-Strauss et Vladimir Jankélévich. L'éclatement de l'objet d'étude va jusqu'à l'abstention du penseur qui ne pourra que jeter le filet du langage pour accorder toute l'attention à ce qui se fait quand on fait, ce qui se vit quand on s'assujettit, ce qui se motive par nos valeurs: une distance implicite où la force naturelle et la faiblesse de la structure négatrice parviennent dialectiquement à une performance.

1 Non seulement nous n'avons pas que les mots pour connaître le monde mais cet idéal cognitif est en cause.

 

 

 

 

 

 

Mur

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