Opération
L'opération nie les différences de tâches parce qu'elle est synergique, autrement dit, parce qu'elle vise l'identité du service, l'affaire à réaliser indépendamment de la diversité des tâches qui permettent de l'obtenir. De même qu'inversement, par sa polytropie et en tant qu'identité propre à l'instance du fabriqué, la tâche nie la diversité des opérations en les identifiant malgré les différences de services rendus.
Le concept d'opération voudrait rendre compte du processus dialectique par lequel le constructeur réaménage la tâche en la niant dans sa fin spécifique au bénéfice de la chose à faire qui peut l'être par des tâches différentes. Si tel couteau de table s'avère inadéquat pour trancher le morceau de viande, le constructeur pourra d'abord appuyer plus fortement sur la lame. Ce faisant il conteste l'assurance que devrait lui apporter le dispositif de découpage ; il est d'avantage dans l'action instrumentée que dans la technique. Si malgré tous ses efforts il ne parvient pas à débiter le morceau, le recours au couteau de cuisine avec une lame fine et aiguisée, fera peut-être l'affaire. En procédant ainsi il introduit dans l'opération de l'aiguisage. En conséquence on ne pourra pas dire que la pression conjuguée au découpage constitue une machine variable dans ses réalisations. Les variations en cause sont structurées par les changements de techniques auquel l'exploitant-constructeur a recours pour parvenir au résultat visé. C'est tout l'ensemble de ces contournements, synergiques qui constitue l'opération. L'opération conteste la tâche en mobilisant d'autres tâches différentes ou supplémentaires. Elle est action outillée par différentes fins concurrentes. Elle ne « réalise » pas la tâche ; elle la manifesterait plutôt par une restructuration dynamique visant à échapper aux contraintes qu'elle génère.
De plus, la finalité contraignant un mode opératoire au remplacement d'un dispositif par un autre plus efficace se réaménage elle-même selon des modalités, pratique, magique et plastique.
Dans le rapport à l'aliment, la modalité pratique nous mettra à table, par exemple, ou nous fournira une corbeille, une serviette, etc., tout complément qui facilite les opérations.
Pour manger un kiwi (le fruit), autrement dit, lorsque téléotiquement je m'alimente, téléologiquement je peux, selon les techniques, être conduit soit à pratiquer le découpage (en le coupant en deux), puis la taille et le débit (si je choisis une cuillère à bords tranchants) soit à l'épluchage. Je peux aussi magiquement (puisqu'alors le produit est déduit du matériel) choisir des bananes, la peau faisant office de serviette, plutôt que des kiwi qui mobilise un couteau ou une cuillère ou les deux. L'opérateur domine l'opération. Magiquement encore, on préfèrera un fruit à un gâteau parce qu'il paraît plus sain.
En quoi la plastique peut-elle être concernée dans cette affaire ? Elle ne semble aucunement l'être s'il s'agit de se nourrir uniquement. Si on déguste plus qu'on ne mange, si les gestes alimentaires ont une importance autant que l'aliment à ingérer, si ceux-ci "se marient" entre eux, une attention esthétique s'insinue qui peut être désignée en termes de registre d'opéra.
Autant de modalités qui modulent l'efficacité de la chose à faire.
Outil
L'outil n'est pas ce qu'on a dans la main...du moins si l'on veut saisir la différence posée par l'anthropologie clinique entre le réel et le rapport au réel, réalité naturelle et culturelle de la manipulation. Ainsi, en l'absence de chose concrête, la manipulation peut être technique ; c'est ce que montrent la danse et toutes les activités qui n'ont en apparence recours qu'à la seule gestualité du technicien.
L'abstraction de l'outil
Le dit « tournevis décapsuleur » n'en n'est pas un ; est-il tournevis ? L'appellation est largement mythique en ce sens qu'elle invoque un mouvement de rotation qui efface les autres dispositifs sans lesquels rien ne peut se faire dans le sens du dévissement1.
La manutention, le serrage sont également des tâches qui forment l'unité de la machine en action.
L'exemple pris de ce tournevis qui peut devenir décapsuleur pour illustrer la capacité d'abstraction spécifiquement humaine mobilisée par l'outil, cet exemple risque de gommer l'indifférence animale à la construction intégrée à la chose outillée : l'action naturelle est par définition la mise en rapport du moyen avec la fin de telle sorte que l'un n'est pas pris sans l'autre. Le constructeur humain peut avoir un double regard puisqu'il a à assurer sa prise du manche du tourne vis, autrement dit à choisir réellement les dispositifs qui vont faire l'affaire, mais il a à viser juste en même temps qu'à dévisser : la chose à faire s'impose à lui, en conséquence, sa force est mobilisée et son attention au point d'attaque dans la fente de la vis, ni d'un côté ni de l'autre, mais au milieu.
Le fait qu'il peut utiliser le tournevis comme décapsuleur suppose que c'est la chose à faire, la bouteille à ouvrir qui est urgente, et peu importe la façon de s'y prendre. On n'est pas alors dans un rapport à l'outil. Ceci dit, le constructeur qui détourne le tournevis, ne s'y prend pas de n'importe quelle façon et il va opérer aussi techniquement, c'est à dire qu'il va assurer le point d'appui et pour ce faire la machine du serrage et de la manutention est mise en action.
Que serait le bon exemple pour illustrer la capacité d'abstraction du processus de l'outil ?
Le fait que tout ne fait pas l'affaire et c'est plutôt la négativité qui marque l'outil : une vielle main comme celle d'une personne âgée à la peau fragile ne peut s'offrir le luxe d'une quasi-blessure : ce qui fait d'elle un sage qui attend de se procurer un décapsuleur, cad une chose élaborée pour décapsuler. Bref, l'abstraction est prise de distance par rapport à la fin, refus de l'immédiateté de l'action naturelle. Ce qui n'empêche pas celui qui peut faire feu de tout bois de ne pas prendre du fer comme combustible.
1Le dictionnaire ne connaît que le dévissage ; pourtant, il y a à distinguer le dispositif de sa mise en action.
