N- Nature

Nature

Aussi naturellement puissions-nous procéder, la manipulation a recours à la technique. Mais sans l'instinct naturel qui voit dans le rapport au monde des moyens et des fins, il n'y pas de chose à faire. La technique ne nous livre que des matériaux et des fonctionnements...c'est-à-dire une analyse des moyens et des fins qu'elle sépare. L'action est donc doublement constituée: par la relation indéfectible entre son moyen et sa fin toujours contingents et en même temps par l'outillage qui offre au constructeur un ensemble de moyens et de fins élaborées toujours disponibles. La nature instinctive prend ainsi place dans la conduite humaine en réaménageant sinon en contestant les apports contraignants de la technique.

Néantisation du trajet

Dans l'action a lieu un processus de néantisation du trajet au sens où la chose que le constructeur a saisie pour agir se trouve dématérialisée en tant que moyen asservi à une fin qui correspond à cette autre chose visée simultanément à la prise du moyen. Autrement dit, la poursuite de la fin fait oublier le moyen. A l'encontre de ce processus de détrajectivation qui vide le moyen en quelque sorte, l'outil propose la disponibilité de ses moyens et de ses fins élaborées. Par l'équipement, l'outil fait exister les moyens et les fins en dehors de l'action.

 

 

Action

 

J'observe un merle dans le jardin : de son bec, il pique le sol ici et là pour explorer plus à fond les trous de vers. Et lorsque l'un d'eux affleure, il le pince pour l'extirper de sa galerie. Je le vois encore qui donne de la tête à droite et à gauche pour nettoyer la surface de la pelouse encombrée de feuilles ou pour surprendre les insectes qui ont trouvé refuge par dessous. J'ai encore entendu un merle faire du bruit en claquant du bec, les deux parties l'une contre l'autre pour chasser un intrus, rossignol du japon sorti de sa cage. Tous ces cas sont suffisants pour établir la polyvalence du bec d'oiseau. On ne peut donc opposer un organe humain à un organe animal de cette façon. Dire d'un organe qu'il est un outil, c'est chosifier le matériel et manquer la capacité abstraite, avec sa complexité, qui le fonde en tant que matériel technique. Deux polyvalences se croisent : celle d'une capacité d'action que l'homme partage avec l'animal et une capacité technique qui rend disponible en permanence des moyens et des fins, à l'encontre du moyen asservi à la fin dans l'action. Bref, nous ne parlons pas du même moyen lorsque l'on envisage celui de l'action et celui de la technique.

Si j'ai recours au tréteau pour en exploiter un tenon que le constructeur n'a pas prévu comme tel en rapport avec un cadre qui présente de la même façon un orifice produit de la construction par sciage et soudure, c'est en raison d'un instinct qui me pousse à optimiser ce que j'ai en main pour parvenir mordicus à ce que j'ai à faire. Pour cette ténacité animal, il faut que le cadre tienne verticalement, qu'il soit fixé aux deux tréteaux ; cela suppose aussi une analyse du matériel telle qu'un dispositif d'encastrage assure un encastrement d'un bout du tréteau dans le trou inopiné du tube carré. La stabilité de l'ensemble dépend de cet assemblage, variante de l'assemblage par tenon et mortaise. Autrement dit, cette mise en rapport des choses, du cadre métallique avec le tréteau métallique suppose une chose à faire – je cherchais un cadre pour l'intégrer, plus que le poser, sans soudure à un support – et une analyse qui soumet la manipulation à une condition de possibilité technique : si le matériel présente ce qui pourrait valoir de tenon et de mortaise, alors c'est possible. La limite technique est là dans ce registre limité de moyens et de fins disponibles en dehors de l'action elle-même prête à faire feu de tout bois.

Reconsidérons la main : elle assure la manipulation en apportant quelle que soit la manœuvre, un dispositif de manutention, qu'il s'agisse de prendre, de pincer, de tirer, de racler, de frapper, de cacher, ce dispositif est là qui sécurise le constructeur dans ses prises multiples et variées de ses activités. D'où l'impression de polyvalence...énoncée depuis bien longtemps par Aristote, d'autant que c'est à deux mains, la plupart du temps, qu'on fait les choses.

Le merle a bien toujours un bec qu'il mobilise diversement pour ses actions, mais en dehors de ces actions, les moyens qu'il y trouve sont asservis aux fins diverses : pas d'analyse séparée des moyens et des fins puisqu'il n'y a pas alors d'ensemble de moyens et de fins : chaque moyen est singulier et dépendant d'une fin elle-même singulière. Chez l'homme, un équipement existe en dehors de l'action, qui fait exister des moyens en rapport avec eux-mêmes et de même s'agissant des fins. En conséquence, sa main s'analyse doublement il s'en sert et il la gère à l'égal d'un équipement non organique extérieur.

 

 

Fraisocc

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