P- Production

Production

Opposer la production à la fabrication permet de comprendre que la production comporte la mise en rapport d'une capacité d'outil avec une conjoncture qui se précise en actions par les paramètres du constructeur, de l'exploitant, du trajet et des vecteurs : spatial, temporel et financier. Les moyens et les fins de l'outil sont alors soumis au moyen et à la fin de l'action. Leur pluralité et diversité est réduite par raison d'efficacité.

L'image ci-contre nous fournit des exemples:

  • La cuisinière est la constructrice (elle fait) de la cuisine;

  • l'exploitant n'est pas visible mais le repas est fait pour lui;

  • le trajet-moyen est matériel et le trajet-fin à produire (poulet rôti), moyen apporté par le couteau et fin par le poulet déjà déplumé sur le point d'être enfourné;

  • le vecteur de l'espace de la cuisine fait problème, petit et encombré;

  • le coût est un paramètre qui ne semble pas peser, mais quand même...

  • le temps disponible n'est pas affiché on voit seulement que la cuisinière rêvasse : « elle a le temps ».

  • Ces considérations qui pourraient paraître suffisantes pour décrire la cuisine, ne le sont pas pour expliquer ce qui se fait à travers les techniques mises en oeuvre dans l'image. Que font les choses, quelles analyses nous sépare du monde produit et transformable ?.

    Produire, c'est pour l'anthropologue ergotrope, faire exister un monde qui n'est pas encore là par un autre qui l'est déjà, capacités praxiques (action, instrument) et techniques (outil) dont nous disposons.

    La cuisinière produit un espace culinaire qui existe à partir du moment où un plan de travail et du matériel de découpage, de perçage, etc., constituent le poste en assurant la pose de ce qui est déposé (disposition), en sécurisant la coupe. Dans l'outillage tel qu'il apparaît, rien ne prépare la cuisson que nous anticipons pourtant. Mais ce sont des usages convenus qui imposent ce regard. L'utilisation est plus ouverte sur les possibilités : l'oie pendouille sur le bord de la table et l'on recueille le sang de l'animal. L'image de la marmite englobe la scène et montre que la constructrice, absorbée par son travail d'écriture en oublie son activité du moment, à moins qu'elle ne peaufine quelque recette. Ce qui apparaît donc en définitive, c'est la tranquillité de la technicienne qui néglige le désordre apparent en raison de l'analyse qu'elle fait de cet espace culinaire qui fait pour elle, à sa place, ce qui lui offre le loisir de faire autre chose. Dans le moment où le technicien fait fonctionner le dispositif, il n'est plus à ce qu'il fait.

    La production gagnerait à être considérée dialectiquement comme ce moment de l'attention requis pour faire quelque chose et non ce n'importe quoi qui risque de se produire si l'on se contente de faire fonctionner les dispositifs techniques. L'anthropologie clinique médiationniste oppose à la fabrication, en tant que moment d'une autre analyse où l'instrument fait avec l'outil en le réaménageant.

 

 

  • Réaménagement modulé selon les modalités pratique, magique, plastique de production

Tels qu'elles se manifestent, les entités techniques sont des factrices et des freins, des promesses et des contraintes, appellations de Jean Gagnepain lui-même. Car l'outil disponible en permanence ignore les particularités des conjonctures et la mise en action des identités et unités, des similarités et complémentarités n'est pas leur réalisation. L'écart entre le latent et le manifeste porte le nom de l'inefficacité de l'outil. L'action le gère 

Mais le constructeur considère cette inefficacité variablement selon ses visées, pratiques, magiques ou/et esthétiques. Ses actions gèrent les ouvrages avec le souci d'une efficacité qu'il comprend différemment.

Il a déjà été systématisé un tableau de la mécanique et de la téléotique. Si l'on tient compte des modalités de la production, il est à compléter.

La qualité utile nie le matériau, certes mais uniquement dans une perspective pratique ; la négation vire à la métamorphose lorsque le matériau devient générateur de pouvoir nouveau par une attention magique au matériel et au produit : le pouvoir influentva au-delà de la qualité utile en prêtant au matériau plus de puissance qu'il n'en a ; si le matériau apporte des qualités sensibles, de la texture, c'est que le plasticien fait avec, jusqu'à le convertir en rythme par récurrence. S'il y a alors une contradiction, c'est celle qui oppose les deux visées, pratique et esthétique.

Car les modalités en cause ne sont pas séparables ; elles coexistent dans tout ouvrage que le constructeur ait choisi ou non explicitement de se consacrer à l'utilitaire, au recours magique ou à la plastique.

De la même façon, l'engin se réaménage dans l'ustensile par lequel le tangible redistribue les abstractions de la mécanologie. Mais magiquement, le pied qu'on trouve dans l'expression «avoir un pied dedans») qui mobilise l'unité de moyen technique est déterminant par le seul fait de l'emploi sans recherche d'adéquation mais avec une perspective de transformation du réel qui laisse intact le matériel. Ça se produit, et de toutes façons, ça marche ! Plastiquement, c'est la répétition de l'unité qui devient productive : la métrique organise l'ouvrage par une suite de scansions où se décline l'unité de l'engin. L'écart qui ne manque pas de se produire est une variation du même formant rythme de façon différente du matériau mais avec le souci de l'organisation interne de l'ouvrage plus que des décalages ainsi transformés.

Si l'opération exige pratiquement l'effort du constructeur pour que la tâche se produise dans le sens requis, l'opérateur est un laisse-faire, une fois choisie la tâche au pouvoir magique. Toute identité téléologique ne fait pas l'affaire, mais, une fois la collusion repérée, « ça roule », autrement dit, ça fonctionne.

Le registre d'opéra est un registre plastique déduit de la tâche. Celle-ci apporte sa forme au deux sens du mot, à la fois analyse structurelle par identités et configuration par Gestalt, organisation du réel en trajets différents. Dans le cas d'un trajet visuel, la ségrégation par le contour dans le champ de vision. Ainsi les formes du découpage ne sont pas celles de la linéarisation. Découper une feuille de papier conduit nécessairement à deux positifs et deux négatifs, ceux de la « forme » et du fond, auxquels il faut ajouter les inversions recto-verso. Le dessin linéaire ne produit pas une telle séparation, il peut être appuyé, irrégulier : ce n'est pas la lame mais la pointe, dans le rapport à la feuille de papier, qui agit.

Alors que la visée pratique conduit le constructeur à rendre synergiques des dispositifs différents, le plasticien réaffirme les différences formelles. Ce qui rend l'art abstrait précieux pour les analyses de l'abstraction fondamentale de l'art.

L'appareillage est le moment où les appareils sont en place pour faire oeuvrer la machine : moment d'attention particulière . On souligne ordinairement le moment initial mais le contrôle est constant de ce fonctionnement qui peut malencontreusement produire ceci et cela, ou ceci, mais pas cela, c'est à dire trop ou trop peu. L'exemple d'un photocopieur qui s'emballe est caricatural, mais il montre clairement la vigilance nécessaire du constructeur. La vigilance s'exerce toutefois différemment lorsque c'est le mage qui fétichise la machine en la faisant automate : les caractères s'enchaînent sans retour sur ce qui est écrit puisqu'ils sont alors porteurs de sens ipso facto. La plastique aussi revisite les contraintes liées à la mise en action de la machine, puisqu'elle en tire un endocentrisme constitutif de l'oeuvre à faire. La récurrence interne des dispositifs propres à l'unité téléologique joue à plein en une involution. Et il n'est pas alors de chute du découpage : les deux bords font le trajet d'une attention, tout a son importance pour être intégré à l'ouvrage à construire esthétiquement. 

La complexité de la fabrication n'est pas cause de difficultés, mais la similarité qui pré-organise la substitution et la complémentarité, l'ordonnance, contraignent à un réaménagement toujours particulier fonction du trajet à produire.

Les succédanés sont ainsi les covalences récusées . Ces identités partielles mécaniques sont produites par magie lorsqu'en émerge un pouvoir parallèle effectif sans être absolument efficace, comme d'ailleurs les autres matériaux semblables. Par métaplastique, c'est le regard qui s'anime d'un rythme qui augmente la réalité matérielle du matériau y invitant virtuellement tous ses substituts. 

Cette coexistence n'est pas sans rappeler le principe représentatif de connotation quand il est question du type et de son antithèse, le secteur, qui re-cloisonne pratiquement l'activité en fonction de ses industries. En transposant, l'isomorphisme est par ailleurs en cause qui s'emploie plastiquement à exploiter les classes d'identités. Le rapprochement magique de réalités éloignées se déduit du principe d'identité partielle et au lieu de contrarier la survenance de dispositifs étrangers au secteur, le mage ou la sorcière enfourche le balai, s'engage à fond dans ce qui paraît de l'ordre du détournement.

Quant à l'ajustement qui réaménage la covariance préfabriquée des engins, le passage fait la cohésion des actions occurrentes, unifie l'oeuvre sans explicitement travailler à son unité. Le lien est fait magiquement par confiance accordée aux moyens techniques de la fabrication plus qu'à un effort d'attention à la chose à faire.

Si le chantier désigne l'action du constructeur qui désenchaîne les machines pour les adapter autrement, en les complétant ou en les simplifiant, en fonction des paramètres de la conjoncture, l'entraînement table sur un avancement machinal, faisant jouer à plein la syndèse dont le magicien escompte un pouvoir occulte, tandis que le plasticien trouve dans l'unisme, et la force de la composition,  l'unicité de l'oeuvre.

 

L’unité de production1

 

Si l’unité conceptuelle définit le segment conceptuel, le terme désignant l'objet, et ce que j'en dis, alors l’unité de production correspond au matériel de la chose faite et  au produit: la transformation opérée. L’unité en cause est fonction de la performance en cours à l’encontre de l’unité téléologique indifférente aux nécessités conjoncturelles de la chose à faire qui contrecarre son fonctionnement d’unité.

Considérons le cas où l’unité porte sur la production de tartines de pain : le « ce » de « ce qui se fait » vise le pain mécaniquement et téléotiquement outillé par les ustensiles et le nécessaire du plan de tranchage, celui de « ce que j’en fais » désigne la fin de la tartine outillée du même équipement, trajet visé, mais encore, le constructeur qui cuisine et celui qui la goûte, l'espace du plan de travail, le laps de temps libre, le coût des ingrédients.

Bien qu’il s’agisse techniquement de la même action, le rapport au pain est instrumenté : ce qui veut dire que chaque tartine correspond à une singularité : il n'y en a pas deux pareilles. La conduite est contrainte par les pouvoirs utilisés : dispose-t-on d'un plan de travail sur lequel le tranchage peut se faire par rétention de la main sur le pain, n'en dispose-t-on pas et dans ce cas le tranchage utilise le pain lui même comme base de rétention. Saisie et manutention du pain, volume au cylindre aplati, débit de la tartine, autant d'occasions d'attentions particulières ; et faute de quoi, on peut aussi se couper le doigt ;auquel cas, on ne met pas en rapport l’équipement seulement avec la chose à découper. Le fonctionnement du tranchage (matériel) tend à organiser l’affaire (produit) en même temps que le travail se polarise sur la tartine à trancher.

Une diversité de façons de faire existe dans le rapport au même nécessaire, et les tartines ne sont pas de performances identiques bien que techniquement le constructeur s’y prenne de la même façon.

 

1  Par analogie avec l’unité conceptuelle, terme développé par René Jongen, Athropo-logiques n°1, p.100

 

 

Cuisinsp

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