T- Tâche

 

Le concept de tâche suppose qu'on ne l'identifie pas à la chose à faire: celle-ci rejoint en tant que fin le concept de trajet.
La tâche se précise surtout dans le rapport au but, à l'intention, au projet: elle désigne l'organisation technique d'une fin attestée par une différence de dispositifs. Ceci amène à dire qu'il n'y a pas de tâche en dehors des dispositifs qui les assurent techniquement.

 

Qu’est-ce qu’une tâche ?


 

Hypothèse médiationniste, la réponse se situe entre un idéalisme de la fin et un matérialisme du moyen : la tâche existe par une différence utile de dispositifs attestant matériellement d’un changement de tâche.

Une fin matérialisée par un dispositif

L’immanence du critère d’analyse dans l’appréhension de la tâche réside dans le fait de retenir une différence de dispositifs comme attestation matérielle d’un changement de tâche. Elle consiste, négativement, à exclure le recours au service rendu pour différencier téléologiquement les gestes et les faits.

NB: bien que la garantie de la tâche soit mécanologique, c’est non substantiellement que se définit la tâche: la matérialité d’un « nécessaire à » n’est pas un critère. L’existence technique de la tâche tient non au dispositif mais à une différence de dispositifs. Cette différence peut consister dans le remplacement d’un matériau par un autre aussi bien que dans l’intégration d’un engin supplémentaire:

- le remplacement de la pointe traçante par le pinceau nous fait passer de la linéarisation à l’enduit, celui d’un pouvoir colorant par un autre, de l’enduit à la chromatisation

- la malléabilité d’une feuille de papier élaborée doublement par son trempage et son grammage permet de passer de l’estampage au gaufrage (moulage) sans que l’estampage disparaisse;

- l’absence de presse pour organiser techniquement la pression nous maintient dans l’emploi du report qui devient estampage dès qu’on la met en œuvre. (Le fait qu’on puisse compenser l’absence de presse par la pression manuelle notamment dans la gravure en relief nous situe dans l’instrumentation consistant alors à vérifier constamment la réalité de l’empreinte avant de séparer l’imprimé de l’imprimant.) L’apport de la presse adjoint au report de l’encre, l’estampage qui assure la pression nous dispensant d’appuyer partout et de veiller à l’application intégrale de la feuille sur les surfaces encrées.

- l’adjonction d’un pouvoir ne fait pas nécessairement cesser la tâche initiale: le remplacement des reliefs par des lames fait de la matrice un emporte-pièce et ajoute ainsi le découpage à l’estampage.

NB: On ne pose pas les tâches d’abord en fonction d’une transcendance implicite qui les font venir d’un ailleurs («le génie» humain, Dieu ou la Grande Fin Dernière, la téléologie n’est pas une théologie, ni le grand projet de bien faire) comme permet de le supposer l’analyse de «l’invention» de la hache de Leroi-Gourhan...

Une différence utile de dispositifs:

Le dispositif, en tant que matériel nécessaire ne fonde pas la tâche à lui seul. Analyse qualitative de la fin, la tâche détermine celle-ci en l’organisant (organon: «outil» en grec) par avance par des différences matérielles de dispositifs . La tâche n’est pas purement abstraite. De sorte qu’il n’y a pas de tâche en dehors d’une différence de dispositifs ni de tâche sans l’assurance du dispositif. Il en est de la tâche relativement à l’activité comme du sème relativement au langage: de même que le sème se réduit à l’analyse du sens du langage sur le critère d’une différence de sons ( le signifié ainsi n’est pas le sens), la tâche relève d’un traitement différentiel et matériel de la fin (qui n’est pas le service rendu ou l’affaire à traiter mais le fabriqué). Non seulement la tâche n’est pas la chose à faire mais il est à souligner l’indifférence de la tâche dans le rapport à la chose à faire: disposant par un certain logiciel de la forme du cercle et du bâton, le dessin d’un œuf est problématique:

Tâche au sens ergologique, le traçage soumet la représentation de l’œuf (la fin, la chose à faire, le service à assurer) à la forme de son traitement, ce qui produit alors, par les fragments de droites raboutés, des œufs à facettes (le trajet outillé de l’ouvrage).

Doc : œuf et œuf épannelé

Cet écart dans le rapport à l’objet «œuf» à transcrire est un inconvénient seulement pour celui qui vise à restituer du percept, il est négligeable pour qui suffit la production d’une pensée: tous deux ont néanmoins à réaménager la technique pour parvenir à leur ouvrage: aussi éloigné de l’apparence de l’œuf soit-il, l’œuf à facettes ne s’impose qu’à travers une forme globale précise qui implique une orientation particulière des segments. C’est à ce moment du retour de l’instrument dans la production que la technique paraît contraignante. De même dans le rapport à la taille ou au sciage qui procèdent par facettes: le fait de poncer jusqu’à l’effacement même de la technique du ponçage montre la part de l’instrument mais aussi une taille qui se suffit à elle seule parce qu’elle est toujours un tant soit peu soumise à la chose à tailler.

Trajet

L'acception courante limite le terme à la notion de déplacement d'un lieu à un autre. Avec Jean Gagnepain, le trajet est à considérer généralement, pour toute activité, au sens de moyen comme de fin. La saisie du moyen implique déjà la fin, les deux réalités sont simultanées et disparaissent avec l'action dont le début comporte la fin et qui ne se termine pas avec la fin, celle-ci devenant par enchaînement, détrajectivation, le moyen d'une autre fin.

Moyen ou fin, le trajet résulte d'une Gestalt, d'une forme de traitement naturel de notre motricité, de même que l'objet procède d'une Gestalt de nos sensations.

La capacité de trajet ou praxie

La capacité de trajet se constate pathologiquement par défaut...lorsqu’untel, non paralysé, présente des troubles de la manipulation, par exemple : 

  • quelqu’un se demande si le pot de fleur sur le bureau fait partie des moyens pour écrire, si la règle est une aiguille à tricoter ;

  • ou un autre qui sachant prendre un marteau par son manche se met en tête de le faire tenir debout bien qu’à proximité soient posées des clous et des planches,

  • ou encore, quelqu’un qui, craquant une allumette, la met à son oreille comme s’il s’agissait de l’écouteur du téléphone.

Ce rapport technique n’est autre que l’analyse de notre rapport aux choses en termes d’activité : 

  • le blanc du carrelage est trajet dans la mesure où il est là pour faire voir la saleté et assurer la propreté ; dans le même ordre d’activité, le gris de la moquette correspond à du trajet pour camoufler la poussière : «  on dit que la couleur n’est pas salissante  » ;

  • si l’on considère par exemple un paquet de gâteaux, le rapport d’activité de l’exploitant (consommateur) habituel en fait du «  pour manger  », mais pour celui qui l’a produit, il peut n’apparaître qu’en tant que «  pour ranger  » et alors la forme de n’est pas négligeable ;

  • ou encore s’il ne reste qu’un gâteau dans le paquet, c’est «  du comment faire pour n’avoir pas à le ranger  ». En somme un gâteau est trajet pour celui qui a à le gérer par le travail :

  • soit comme moyen : on prendra en compte sa saveur dans une activité de dégustation, ses qualités nutritives dans une activité alimentaire ;

  • soit comme fin, dans une activité de distribution par exemple où les parts sont déjà faites, dans une activité de cuisine où il s’agit de faire au plus vite par construction de gâteaux secs.

Feuilune

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