Comment ça ne marche pas

L'inefficacité  de la technique semble butter sur une contradiction dans les termes: les dispositifs techniques sont sensés assurer les affaires à gérer. Le constructeur attentif aux résultats sait toutefois qu'il s'en faut toujours peu ou beaucoup pour que la cible soit pleinement atteinte. La gestion de l'ouvrage est toujours entachée d'un fonctionement aveugle des appareillages auxquels nous ne manquons pas de recourir. Ce blog vise à revenir sur les défaillances les plus manifestes pour vérifier que ce n'est pas uniquement une chaîne de causalité qui, d'action en action, aboutit au "mal fait". L'activité humaine parce qu'elle est culturelle, est par structure vouée à l'impouvoir, sinon à l'impuissance.

C'est même sur le fondement de l'ineffficaité que Jean Gagnepain a fait émergé dans les sciences humaines le processus constitutif de l'outil. Si l'on s'accorde à reconnaître que les moyens et les fins techniques, disponibles en l'absence d'action, résultent d'une analyse du moyen et de la fin de l'action, toujours éphémère, l'outil est comme le signe, une capacité neurologique. La collaboration de Jean Gagnepain avec Olivier Sabouraud, neurologue, va dans ce sens. Les troubles de la manipulation déduits de la théorie ergologique ont fait éclater les apraxies en séparant les troubles spécifiques de l'action (réalisation d'une capacité instrument) de ceux liés à l'outil (troubles culturels de la fabrication). Il importe ainsi de dégager de ce qui ne marche pas les conditions structurelles et dialectiques du fait que ça marche !

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Dans Faire

Barba Palma, une installation pour l'ergotropie

Le 17/10/2017

 Échange autour de l'Arbre à Barbe  - http://glg-ergoblog.blogspot.fr

Arbrabarb

 

  • Pourquoi utiliser le végétal, quelle raison avez-vous de le mettre en avant ?

  • Ce sont deux questions différentes : c'est le menuisier qui a d'abord séparé les images des murs, le bois n'a dans les conditions du tableau qu'un statut de moyen, il est utilisé comme on l'utilise encore abondamment par le papier. Mettre en scène le végétal, ça commence avec l'art des jardins, les topiaires et les pots de fleurs. C'est donc un art populaire qui est à considérer.

  • Vous intervenez dans cette tradition ?

  • Pas uniquement : en art contemporain, on connaît de Jean-Pierre Raynaud les mille pots bétonnés peints pour une serre ancienne, le chemin de Nils Udo, je cite ces deux exemples parce qu'ils ne font pas directement valoir le végétal : c'est l'absence de fleur qui prévaut chez Renaud et la rampe de troncs d'épicéa qui supporte de la pelouse est cachée. Mais justement ils intriguent plus qu'ils n'extasient.

  • Donc vous voulez intriguer...

  • Oui, c'est ça, faire réfléchir à notre existence environnementale car on pense que l'homme et l'animal ont une autonomie de vie du fait qu'ils sont automobiles. Et ils seraient pour cette raison détachables de leur environnement.

  • Vous avez détaché l'arbre assez brutalement puisque vous l'avez coupé...

  • J'ai récupéré ce stipe de palmier-chanvre par une entreprise de jardinage, pour être exact. Mais vous remarquerez qu'il est ré-attaché de toute part.

  • Pourquoi ?

  • Les six câbles sont destinés à la suspension de séries ou de suites de bibelots à produire comme des analyses techniques.

  • Je vois... comme ici une série de tubes divers qui justifieraient qu'on les aligne, c'est ça ?

  • Oui et non : oui, car l'identité rapproche un certain nombre d'objets usuels de secteurs industriels très éloignés ; par conséquent on prend ainsi ses distances par rapport aux services rendus et on se rend compte que la question à quoi ça sert n'explique pas ce qu'on a dans la main, mais le fait oublier en tant que moyen. Non, parce qu'il faut éviter la banalisation du fait technique : le tube est un principe, comme la roue, le levier, etc. on aurait vite fait d'en faire, avec l'eau, l'axe et l'appui, une machine et de s'arrêter à la mise en avant d'un pouvoir faire augmenté lié à un ensemble d'éléments matériellement reliées.

  • ça me paraît déjà intéressant d'entrer dans la physique de la technique !

  • Bon, je ne dis pas que la technologie destinée à dévoiler et mettre en oeuvre les « rouages » du matériel qu'on possède ou qu'on pourrait produire est sans grand intérêt. Il ne s'agit pas ici d'entrer dans un plaidoyer pour ou contre le progrès technique.

  • Au moins, savoir comment ça marche, non ?

  • Justement, la plupart du temps on gomme la question « comment ça ne marche pas ».

  • Est-ce que ce n'est pas un peu tiré par les poils de l'arbre à barbe que d'aller dans ce sens ?

  • Revenons à nos babioles et vous allez comprendre que non : leur manipulation montre qu'ils ne sont pas réductibles à la simplicité de tubes, en l'occurrence. La réalité de la prise en main fait l'analyse : je peux le prendre comme un manche, ce tube et à pleine main alors, ou je le saisi entre le pouce et l'index en le plaçant devant mon œil, vers la lumière et il devient une lunette, je le rempli de sable et il devient un récipient, etc. Autrement, dit la technique est continuellement réaménagée par l'action.

  • On connait l'art des détournements, Picasso et sa tête de taureau-selle et guidon de vélo, après Arcimboldo qui portraitise avec des fleurs, fruits ou légumes...

  • Je préfère Marcel Duchamp et sa fontaine-urinoir qui ne se situe plus dans le rapport à la représentation visuelle et mimétique mais dans le rapport à une utilisation. Mais de toute façon, il ne s'agit pas de se livrer à une pratique du détournement par les gestes. Il s'agit d'appréhender ces babioles dans la complexité de l'action technique. Car il y a des limites au détournement d'utilisation : les choses ouvragées nous font faire et avec elles nous ne pouvons pas faire n'importe quoi. Nous pouvons recharger nos portables avec un vélo en utilisant le pédalage, non plus pour avancer mais pour faire tourner la dynamo. Certes, mais par la roue et le levier, je ne saute pas même si le half-pipe montre des envolées acrobatiques : il faut un détendeur comme un ressort et une articulation pour projeter en l'air...ou une rampe de lancement comme le half-pipe.

  • Il y a saut et saut pour vous...

  • Oui, c'est ça : nos actions sont outillées. Et il faut considérer le fait technique en lui-même et pas seulement le service rendu. Si je prends ce tube, je le reconnais en tant qu'étui pour brosse à dent : c'est alors la protection qui est considérée, en même temps que la facilité de rangement. Mais je peux aussi passer dans le même temps à côté de l'occultation que réalise aussi le tube-étui : c'est ce qui a lieu si je ne reconnais pas l'étui à brosse à dent. Je peux aussi ne pas voir que le fond de l 'étui est percé, ce qui assure le séchage par aération de la brosse. Donc le nécessaire à l'hygiène des dents comporte une diversité et une multitude de dispositifs que j'active ou non, mais qui ne manquent pas d'opérer avec moi ou contre moi.

  • Contre vous ?

  • C'est net avec la cartouche : ça peut exploser n'importe comment et faire des dégâts jusqu'à la catastrophe, nous le savons tous ! La technique est indifférente aux utilisations qui en sont faite. Mais il y a à montrer qu'elle apporte aussi des solutions inattendues et pas seulement de nouveaux problèmes.

 

un palmier barbu pour notre culture technique

Le 07/10/2017

 

N'eo ket eoul a balmezenn e vez tennet er-maez d'ar 15 a viz here da teir eur med ur prederiadennoù bennak e-kenver teknikel gant sikour an dud ha labour korf. Deit niverus !

Ce n'est pas de l'huile de palme qui sera extraite le 15 octobre à 15 heures à Bazouges-la-Pérouse, mais quelques réflexions sur la technique avec l'aide du public mis au travail ... sans trop forcer. Venez nombreux !

 

Arbre a barbe 13b3

 http://www.association-levillage.org/hors-les-murs-Automne-2017

 

Cybernétique

Le 07/12/2016

La technologie commence à intégrer dans les techniques elles-mêmes la conséquence de ses effets : un cybernéticien comme Norbert Wiener a théorisé ce genre de processus sous le vocable de rétro-action ou feedback. Que la cybernétique s'emploie à contrer des conséquences néfastes, cette idée est masquée par le tohu-bohu ambiant de l'informatique et ses réseaux, préoccupés par les usages des systèmes d'informations mis en place.

La rétroaction dans l'exemple type de la chasse d'eau qui régule le niveau par sa cause, c'est bien un débordement qui est géré. L'information n'a pas les mêmes conséquences : elle entre dans un cerveau régulé par des formations diverses et incertaines. C'est Jean Gagnepain qui a avec Philippe Bruneau et Pierre-Yves Balut requalifié la cybernétique en la situant parmi les techniques de maîtrise du vouloir, bref en la plaçant sous l'axiologie, entre une éthique normative et une morale bienfaisante.

 

Quand faire c'est faire

Le 06/12/2016

http://www.techno-science.net/?onglet=news&news=15770

La principale réussite du projet ACTOSELECTCONTEXT d'une durée de quatre ans, qui s'est achevé en 
mai 2016, a été de voir comment trois importantes substances chimiques de signalisation présentes dans 
le cerveau affectent la façon dont les êtres humains traitent l'incertitude. La noradrénaline régule nos estimations 
de l'instabilité de l'environnement, l'acétylcholine nous aide à nous adapter aux environnements changeants et
 la dopamine nous pousse à agir sur la base de nos croyances sur l'incertitude. 
[...]
Néanmoins, cette influence n'a lieu que lorsque nos décisions nécessitent réellement un mouvement, 
contrairement aux décisions abstraites qui ne nécessitent aucune action.

Commentaire GLG:
Quand faire c'est faire
En somme, agir ce n'est pas penser ! La représentation, fût-elle nourrie de concepts 
affinés, ne remplace pas la manipulation ; en dépit du mot de John Langshaw Austin : 
How to do things with words (Quand dire c'est faire). 

Les faits

Le 11/05/2015

Une étude des faits en deçà des effets

Si le fait désigne non ce qui émerge à la conscience mais ce qui s’est produit et comment dans la réalité spécifique du travail, alors on comprendra que l’opposition, fait/effet, qui s’annule quelque peu dans le paronyme veuille souligner l’écart irréductible entre le fonctionnement des dispositifs et le service visé. Non pas nécessairement dans une perspective de rendement où les possibilités techniques freineraient les trajets projetés : bien souvent, l’activité se gère elle-même dans une industrie dynamique qui procède au réinvestissement dialectique dans une autre activité d’un résultat accidentel. L'accident lui-même peut parfois convenir à l’ouvrage.

Il ne s’agit pas de promouvoir un réalisme spécifique au travail, mais de considérer que le résultat obtenu n’est pas séparable analytiquement du processus qui y conduit. Celui-ci est double et cette dualité s’observe encore dans le produit. Tantôt ce sont les effets industriels qui sont privilégiés conformément à l’efficacité visée ou en décalage, tantôt ce sont les faits de fabrication par un certain regard sur la façon de faire sans souci de rendement (métergie) ou sans souci de rendement immédiat (industrie dynamique).

La dématérialisation du travail

A reconsidérer, cette photo de Henri Cartier-Bresson que commente Hubert Damisch, “Traité du trait” (p.17) et qu’on gagnerait encore à mettre en rapport avec cette aporie de celui-ci quant aux toiles de Fontana: (p.8) “l’œil ne voit qu’au travers de la fente qui l’entaille” (spontanément j’écris « qu’il entaille », image de l’œil actif et non subissant): elle correspondrait aussi bien à un regard sérigraphique puisque la fente donne à voir (par l’inefficacité du cache) entre deux toiles tendues laissent aussi entrevoir par leurs ouvertures de mailles.

Il n’y a ligne que dans un rapport aux choses qui s’effectue par le dessin (“la ligne n’existe pas dans la nature” dit Ingres, entendons par là qu’elle est artificielle c’est à dire produite par la technique du dessin. A chaque technique son regard sur le monde: la traversée, l’occulté, l’obturé pourraient être formés par la sérigraphie rejoignant ce qui se fait jour à travers l’ajouré.

Le dessin tend à homogénéiser des techniques diverses et à nier leurs différences: Hubert Damisch cite encore la légende de “l’invention de la peinture”, dixit: “sur la pierre où s’inscrit l’ombre de son amant, la jeune Corinthienne (Dibutade) en dessine la trace, qui cerne les contours de la silhouette.” (p.9) L’éclairage n’est pas nommé et son effet est d’emblée rapporté à de l’inscription ; pourtant, à la lumière de la sérigraphie et de la photographie que ne connaissait pas Dibutade mais que n’ignore pas Hubert Damisch, l’amant est cache dans un dispositif d’occultation photo-sérigraphique.

Rappelons que le trait n’est ni plus ni moins matériel que la ligne: tous deux relèvent de déterminations distinctes et participent à la forme de réalités autonomisables. La dématérialisation de l’objet est en cause dans la perception de la ligne, objet artificiel, indice qui se rapporte à un objet réel qui est son sens ; celle du trajet dans l’élaboration du trait, trajet moyen qui se détrajective dans le rapport à un autre qui est sa fin.

Si l’action n’a cure de la différenciation des moyens que dans la perspective de la fin, l’activité outillée est indifférente à celle-ci, jusqu’au refus de faire pour rendre des moyens et des fins disponibles en permanence, en les opposant et les segmentant entre eux. La dématérialisation naturelle fait place à une autre dématérialisation qui est une analyse.

Cette analyse sous-tend à sa façon les formes qu’on isole ou qu’on met en relation dans l’ouvrage ; elle est un processus inverse de désinvestissement, négateur du trajet.

Les faits opératoires et les effets représentatifs

L’hypothèse médiationniste de l’autonomie de l’art implique que dans le rapport à la représentation médiatisée par le langage, l’art ne fait que prendre en compte une forme qui ne le conditionne pas lui-même dans sa propre forme. La sensation, l’imaginaire ou la pensée ne formeront jamais l’art mais, par la déictique, un de ses contenus. Cette restriction majeure rend impérieuse une interrogation portant sur la réalité de la ligne et du point quand il s’agit d’en faire les composants d’”une boîte à outil” et lorsqu’ils sont appréhendés en tant qu’objets.

Un exemple permettra de voir plus clairement les enjeux d’une telle disso­ciation: pour l’imprimeur à qui s’impose l’estimation de la quantité d’encre nécessaire, la forme visuelle de l’image à imprimer importe peu, mais l’éten­due des surfaces d’encre, ce qu’il mesure. Le point n’a pas de réalité à cet égard. Par contre, dans la mesure où il est lié au non-déplacement de la pointe dans la stylographie, on peut constater qu’il est abstraitement à l’œuvre dans l’estampage et ce quelle que soit la configuration visuelle résultante: le point peut apparaître carré, d’une surface telle qu’il macule toute la surface mise à disposition, il n’est “point” qu’en raison du mode d’application de l’encre, dépôt outillé par simple contact.

Le trompe l’œil et le fait utile dans le rapport aux choses

René Magritte nous montre que l’image ne désigne pas uniquement l’ouvrage déictique ; elle est dans le rapport représentatif ordinaire aux choses, image perçue et conçue toujours en débat. Il montre aussi que l’œuf se fait œuvre1. La prégnance de cet effet représentatif masque l’utilité et l’exploitation des dispositifs qui a lieu sous le mode d’emploi précipité. Une toile a un verso à partir duquel une construction apparaît qui au sens figuré sous-tend la toile, cette évidence rejoint le principe du trompe l’œil qui joue sur la réalité technique du plan utile et sa destination qui est d’imposer un objet de représentation. On peut étendre le trompe l’œil au-delà de la déictique et considérer que l’exécution ne se rapporte pas ainsi à une conception de l’ordre d’une capacité logique et rhétorique, mais à une production qui fait appel à une capacité ergologique et technique.

Plutôt qu’à un trompe l’œil illusionniste, la série des noirs de Pierre Soulages sert à une affiche de la pluralité des panneaux dans le rapport à la scansion des traces : nul geste pictural qui ne soit tributaire du lieu technique où il s’inscrit au point de n’avoir pour début et pour fin que les bords des planches du subjectile.

1 René Jongen qui a écrit, à propos de René Magritte, La pensée imagée de l’invisible, souligne, dans son ouvrage Quand dire, c’est dire, que l’œuvre vient de la dérivation du mot œuf : oeuvre + er

Dans Sorties

Ouverture de Situfais

Le 15/04/2015

Il y a des problèmes que seule la technique peut gérer; à condition de changer la façon dont on pose le problème. D'où la conséquence: il n'y a de problème que la technique ne saurait gérer.

Peut-on alors faire confiance à la technique? Le problème - encore un autre - c'est que l'analyse technique s'accomplit à l'insu de l'opérateur et cette analyse suppose une confiance. Le sens donné couramment au dispositif technique l'implique: nous recourons à la technique spontanément parce que nous disposons d'une assurance technique. Mais cette assurance n'est que relative: tout dispositif est inefficace car il ne gère que ce pour quoi il a été élaboré, non le problème particulier que le constructeur a à résoudre. Alors que faire? La réponse est: faire attention. Car heureusement, l'homo faber conserve sa capacité d'action animale qui fait retour dialectiquement sur la structure technique disponible et le conduit à restructurer, réaménager ces moyens et ces fins prêt-à-porter pour en faire du sur mesure.